Fidèles éléphants de Yukio Tsuchiya
C’est un grand bonheur de me glisser dans une classe de 6e année du primaire avec dans les mains un livre exceptionnel. Les élèves me regardent avec suspicion, mais je ne m’en formalise pas. Leurs regards sont là pour m’avertir :
- Elle est mieux d’être bonne ton histoire!
- Prends-nous pas pour des bébé!
- N’utilise pas un ton « gnangnan » pour la lire ton histoire!
Je suis avertie.
Pour installer un contexte et les dérider un peu, je leur parle d’un sujet qui les allume immédiatement : la Deuxième Guerre mondiale. Ils en ont long à dire et ils s’attardent sur des détails morbides. Des mots fusent : Hitler, mort, fosse, Juifs, croix gammée, Allemands, sang, torture.
Une jeune fille raconte, avec précision, les souvenirs de ses grands-parents polonais, le rôle qu’a joué la Russie dans cette guerre.
- Les Russes! Qui d’autres a été touché par cette guerre?
- Tout le monde, Madame, c’était une guerre MONDIALE!
Il a raison. Tout le monde a été touché, écorché, marqué. Même les gardiens de zoo au Japon.
Je le montre enfin, ce livre rouge que je tiens dans mes mains. Celui qui présente l’histoire triste de trois éléphants qu’on a dû laisser mourir de faim parce qu’il devenait dangereux de les laisser en vie, à cause des bombes qui tombaient sur Tokyo : ils auraient pu s’enfuir, piétiner des gens. Les autres animaux ont été empoisonnés, mais le poison n’a pas fonctionné avec les éléphants. On les voit dépérir lentement à travers les yeux de ceux qui les aimaient tendrement. Chaque jour qui passe, les gardiens espèrent la fin de cette maudite guerre pour courir vers la réserve de nourriture afin de secourir les bêtes agonisantes.
Les éléphants ont été enterrés et un monument commémoratif existe encore au zoo de Ueno parce qu’il ne faut pas oublier. Jamais. Les monuments sont comme les pierres blanches du Petit Poucet qui permettent à la mémoire de retrouver le chemin parcouru.
La 4e de couverture de cet album magnifique raconte que chaque année, le 15 août, cette histoire est racontée à la radio japonaise. Je crois bien que je vais me donner pour mission de me trouver une classe de 6e année, chaque année, pour la lire malgré leurs regards suspicieux parce qu’à la fin… leurs yeux brillaient et leurs bras s’étaient décroisés.
Appréciation : Merci à ceux qui osent aux Éditions Les 400 coups. Eux aussi savent que personne, absolument personne ne peut faire la guerre avec les yeux brillants et les bras ouverts.
Fidèles éléphants de Yukio Tsuchiya , aux Éditions Les 400 coups, 2000
Ce livre est magnifique. Tout comme Le tricycle de Shinichi dans la même collection. Pour ma part, c'est dans des classes de secondaire 1 que j'adore me retrouver pour leur lire Une si jolie poupée. Le silence respectueux alors qu'il découvre peu à peu le secret que cache la poupée... alors qu'eux aussi m'accueillent à tout coup en me disant que je ne vais quand même pas leur lire ce livre de bébé! Des ouvrages essentiels et magnifiques!
RépondreSupprimerIsabelle, quelle source extraordinaire de discussions et de réflexions il est possible de puiser dans les merveilleux albums pour la jeunesse! Je vais me procurer "Une si jolie poupée". Merci!
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